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Tribune : Souveraineté minière : ce que le Mali peut apprendre du modèle botswanais

L’expérience botswanaise offre des enseignements précieux que le Mali gagnerait à examiner avec lucidité.

LE PARTENARIAT DEBSWANA : UN DEMI-SIÈCLE DE SOUVERAINETÉ NÉGOCIÉE

Pendant plus d’un demi-siècle, Gaborone a bâti une approche fondée sur trois piliers : la compétence technocratique, la discipline institutionnelle et la capacité à transformer une ressource brute en levier de développement. Le partenariat Debswana, coentreprise détenue à parts égales avec De Beers depuis 1969, a constitué l’instrument déterminant de cette stratégie. Au lieu de concéder un secteur entier à une multinationale, le Botswana a fait le choix d’une gouvernance partagée donnant accès aux données sensibles, aux coûts réels d’exploitation et aux mécanismes de commercialisation.

En février 2025, cette relation a franchi une nouvelle étape décisive. Après sept années de négociations, le Botswana et De Beers ont signé un accord historique : la part de l’Okavango Diamond Company, la société d’État botswanaise de commercialisation, passera progressivement de 25 % à 30 % des ventes de Debswana durant les cinq premières années, puis à 40 % les cinq années suivantes, avec une option pour atteindre 50 % lors d’une extension de cinq ans. En contrepartie, De Beers a obtenu une extension de ses licences minières jusqu’en 2054 et s’est engagé à investir 75 millions de dollars dans un fonds de développement, ainsi qu’à créer un laboratoire de certification et un institut de formation aux métiers du diamant à Gaborone.

Ce qui distingue cette négociation, c’est la posture stratégique du Botswana. Loin de rompre brutalement avec son partenaire historique, Gaborone a rappelé qu’il disposait d’alternatives. Le pays fournit environ 70 % de la production mondiale de De Beers, ce qui lui confère un levier considérable. Le président Duma Boko a même annoncé en septembre 2025 l’intention du Botswana d’acquérir une participation majoritaire dans De Beers elle-même, alors qu’Anglo American cherche à céder cet actif. Cette posture de négociation en position de force a permis de faire évoluer les termes du partenariat sans provoquer de rupture destructrice.

LE MALI : ENTRE NATIONALISATION ET CONFRONTATION

Le Mali, deuxième producteur d’or africain avec environ 65 tonnes par an, a choisi une voie radicalement différente. Le nouveau code minier adopté en 2023 a porté les redevances de 6,5 % à 10 % et la participation minimale de l’État de 20 % à 35 %. En septembre 2025, sept accords majeurs ont été ratifiés sous ce nouveau régime, couvrant les mines d’Allied Gold, B2Gold, Resolute Mining et même le projet de lithium de Ganfeng. Sur le papier, ces réformes semblent converger avec l’objectif botswanais de capturer davantage de valeur.

Mais la méthode diffère profondément. Le différend avec Barrick Gold illustre les risques d’une approche conflictuelle. En janvier 2025, les autorités maliennes ont saisi environ trois tonnes d’or du complexe Loulo-Gounkoto, l’une des plus grandes mines d’or au monde. Quatre employés de Barrick ont été emprisonnés, dont un cadre régional, tandis qu’un mandat d’arrêt a été émis contre le PDG Mark Bristow. Le tribunal commercial de Bamako a placé la mine sous administration provisoire en juin 2025. Cette confrontation a abouti, fin novembre 2025, à un accord de 430 millions de dollars en faveur du Mali, permettant la libération des employés et la reprise des opérations.

Ce résultat peut sembler une victoire pour Bamako. Mais à quel prix ? Près d’une année de production perdue, une réputation d’instabilité réglementaire consolidée, et un signal envoyé aux investisseurs que les contrats peuvent être remis en cause par la force. B2Gold avait déjà annoncé en avril 2024 la suspension de tout nouvel investissement au Mali « jusqu’à ce que l’environnement réglementaire se stabilise ». Le contraste avec le Botswana est saisissant : là où Gaborone négocie patiemment pour obtenir davantage tout en préservant la confiance des partenaires, Bamako choisit l’épreuve de force au risque de décourager l’investissement futur.

LA TRANSPARENCE COMME FONDEMENT DE LA SOUVERAINETÉ

Pour le Mali, la leçon botswanaise sur la transparence est fondamentale. Tant que l’État n’aura pas une visibilité complète sur l’économie réelle de ses mines, il restera condamné à dépendre des estimations fournies par les opérateurs eux-mêmes. Le gouvernement malien affirme que les multinationales lui doivent entre 300 et 600 milliards de FCFA d’impôts et dividendes impayés. Mais cette fourchette considérable, du simple au double, révèle précisément le problème : l’asymétrie d’information empêche toute négociation équilibrée.

Le Botswana a résolu ce problème en siégeant au conseil d’administration de Debswana avec un accès direct aux comptes, aux coûts d’exploitation et aux projections de revenus. L’Okavango Diamond Company, créée en 2013, a démontré la capacité de l’État à commercialiser indépendamment une partie de sa production : ses ventes sont passées de 94 millions de dollars la première année à plus d’un milliard en 2021-2022. Cette compétence technique accumulée au fil des années donne au Botswana la crédibilité nécessaire pour exiger davantage.

Le Mali, en revanche, ne dispose pas encore de cette expertise. Selon les données de la Banque mondiale, seuls 15 % environ des cadres techniques du secteur minier malien sont des nationaux. La création de SEMOS, l’entité chargée de gérer les mines nationalisées de Yatela et Morila, est un pas dans la bonne direction. Mais sans formation massive de négociateurs, d’ingénieurs et de financiers spécialisés, la souveraineté proclamée restera largement théorique.

DE L’EXTRACTION À LA TRANSFORMATION : CRÉER DE LA VALEUR LOCALE

Le Botswana a compris très tôt que la valeur véritable d’une ressource ne se trouve pas dans la roche, mais dans la transformation. En exigeant la relocalisation du triage, de la certification et du marketing des diamants à Gaborone, le pays a créé un écosystème industriel, financier et logistique qui génère des milliers d’emplois qualifiés. La Diamond Trading Company Botswana, le laboratoire de certification De Beers et bientôt l’institut de formation aux métiers du diamant constituent autant de maillons d’une chaîne de valeur désormais ancrée localement.

Le Mali ne peut plus se contenter d’exporter un or brut dont la valeur réelle est captée ailleurs. L’annonce, en juin 2025, du lancement de la construction d’une raffinerie d’or à Senou, à 19 kilomètres de Bamako, avec une capacité de 200 tonnes par an et une participation majoritaire de l’État malien, va dans ce sens. Mais cette raffinerie, développée en partenariat avec le conglomérat russe Yadran, soulève des questions sur la diversification des partenaires et la dépendance croissante vis-à-vis d’un seul axe géopolitique.

Le lithium, dont le Mali possède des gisements significatifs comme celui de Bougouni exploité par Ganfeng Lithium, offre une opportunité similaire. Mais sans exigence de transformation locale, même partielle, les sociétés minières exporteront le minerai brut vers des usines chinoises ou européennes, reproduisant le schéma extractif classique. L’or doit être raffiné localement, le lithium doit entrer dans une chaîne de transformation, et les sociétés minières doivent être tenues d’intégrer les entreprises nationales dans leur chaîne de sous-traitance.

LA DIVERSIFICATION COMME ASSURANCE CONTRE LA DÉPENDANCE

L’exemple botswanais montre également l’importance d’une stratégie de diversification crédible. Gaborone n’a jamais rompu avec De Beers, mais a rappelé qu’il avait des alternatives. Cette posture a fait évoluer les termes du partenariat. Le Mali peut appliquer la même logique : mettre en concurrence les raffineries, solliciter des partenaires variés, exiger des contreparties tangibles avant toute concession. Un État qui n’a qu’un seul partenaire n’a aucun pouvoir de négociation.

Mais la diversification ne concerne pas seulement les partenaires commerciaux ; elle concerne aussi l’économie nationale elle-même. Le Botswana, conscient que les diamants ne sont pas éternels, d’autant que les diamants synthétiques grignotent les parts de marché, a lancé en septembre 2025 un nouveau fonds souverain orienté vers la croissance et la diversification économique. Ce fonds, distinct de l’ancien Pula Fund qui a été largement épuisé, vise à investir dans l’agriculture, le tourisme, les énergies renouvelables et les industries numériques. Sa gouvernance, alignée sur les Principes de Santiago, prévoit des rapports trimestriels et une supervision parlementaire.

Le Mali, où l’or représente 25 % du budget national et 75 % des recettes d’exportation, est encore plus vulnérable à une dépendance mono-ressource que le Botswana ne l’était avec les diamants. La question n’est pas seulement de capturer davantage de valeur sur l’or existant, mais de construire, avec cette valeur, une économie moins dépendante des fluctuations du marché mondial des matières premières.

LA STABILITÉ INSTITUTIONNELLE : UN CAPITAL AUSSI PRÉCIEUX QUE L’OR

Enfin, la clé du succès botswanais réside dans la stabilité institutionnelle. Le pays a bâti une culture politique où les règles du jeu minier ne changent pas au gré des pressions ou des crises. La prévisibilité est un capital politique aussi précieux que l’or lui-même. Les changements de gouvernement, comme l’alternance de novembre 2024 qui a porté Duma Boko au pouvoir, n’ont pas remis en cause les négociations en cours avec De Beers ; ils les ont au contraire conclues avec succès.

Pour le Mali, l’enjeu n’est pas seulement économique ; il est aussi politique : clarifier sa doctrine minière, sécuriser les zones de production, ce qui reste un défi majeur dans le contexte sécuritaire actuel, professionnaliser les négociateurs, et établir une vision stratégique portée par les plus hautes autorités et susceptible de survivre aux aléas politiques. Les investisseurs, qu’ils soient occidentaux, russes ou chinois, ont besoin de savoir que les termes d’un contrat signé aujourd’hui seront respectés dans dix ou vingt ans.

CONCLUSION : UNE SOUVERAINETÉ QUI SE CONSTRUIT

Le Mali dispose de ressources considérables, mais une ressource n’est pas une richesse tant qu’elle n’est pas maîtrisée. L’expérience botswanaise rappelle qu’un pays peut transformer une dépendance en puissance, à condition de s’appuyer sur la compétence, la discipline et la vision. La souveraineté minière ne se décrète pas : elle se construit, négociation après négociation, compétence après compétence, institution après institution.

Le modèle botswanais n’est pas exempt de fragilités. La crise actuelle du marché du diamant, avec une chute des ventes de près de 50 % au premier trimestre 2024 et une contraction économique de 3 % en 2024, le rappelle cruellement. Mais c’est précisément parce que le Botswana a construit des institutions solides et accumulé une expertise réelle qu’il peut aujourd’hui envisager de prendre le contrôle de De Beers plutôt que de simplement subir la crise.

Si le Mali parvient à engager cette transformation, en formant ses cadres, en diversifiant ses partenaires, en exigeant la transformation locale, en stabilisant son environnement réglementaire, il peut devenir, à son tour, un acteur capable de négocier avec les multinationales non pas en position de faiblesse, mais avec l’autorité d’un État conscient de ses intérêts et sûr de sa trajectoire. La voie est étroite entre le nationalisme stérile et la capitulation devant les intérêts étrangers. Le Botswana montre qu’il existe un chemin médian, celui d’une souveraineté patiente, compétente et stratégique.

                                                                                                 

 Sambou SISSOKO, analyste politique

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