Pr Ali N. Diallo proteste contre la suppression de l’enseignement de la Révolution française au Mali
J’ai été surpris, et même étonné, que la suppression de l’enseignement de la Révolution française de 1789 aux élèves des classes de la neuvième année de l’école fondamentale au Mali vienne du ministre de l’Éducation nationale Amadou Sy Savané, mo sawata gaccee !
Je suis d’autant plus étonné qu’un homme de culture comme lui prenne une telle décision et l’annonce par une simple note de service. Ce n’est ni par un arrêté interministériel, ni par un décret présidentiel pris en Conseil des ministres qui annonce une telle décision de signification difficile à décrypter et aux conséquences pas aisées à cerner !
La note de service du 9 octobre 2025 signée par le secrétaire général Boubacar Dembélé, Professeur de l’Enseignement supérieur, parle de suspension et non de suppression, me dites-vous ! Cette suspension est prévue pour combien de temps ? Elle est provisoire, me redirez-vous. Mais provisoire pour combien de temps ?
Il est des fois des décisions annoncées comme provisoires qui deviennent définitives !…
Attention, il y a eu dans ce pays des décisions prises pour six (06) mois et qui « ont duré vingt-deux (22) ans, quatre mois et sept jours » (dixit un célèbre avocat sénégalais, Me Ba Pullo). Il y a eu également, au Mali, d’abord la suspension des partis politiques, des associations et des regroupements à caractère politique avant leur dissolution. Aussi doit-on s’attendre à ce que cette suspension devienne une suppression ! C’est pour cela que j’ai titré volontiers cet article suppression et non suspension ! Par respect pour l’auteur de la note de service, je vais désormais parler de suspension tout le long du reste de l’article.
Au secours, au secours les historiens et les enseignants en Histoire, surtout d’histoire contemporaine ! Il s’agit de l’éducation, de l’éducation des enfants et des adolescents. Il s’agit de l’avenir du Mali. Donc ne plaisantons pas ! Celles et ceux qui préconisent de remplacer l’enseignement de l’histoire de la Révolution française de 1789 par celui de la Charte de Kurkanfuga n’ont pas beaucoup réfléchi ou ignorent tout de ce qu’est l’essence de cette révolution.
La Révolution démocratique bourgeoise de 1789 n’est française que parce qu’elle s’est déroulée sur le sol français. Elle a été une révolution antiféodale annonçant le passage d’une phase de l’histoire de l’Humanité, la phase féodale, à une autre phase, la phase démocratique bourgeoise.
Elle annonçait le passage des royaumes et empires à la République démocratique bourgeoise, car, ne l’oublions pas, il y a déjà eu la République romaine (de 509 av. J.-C. à 27 av. J.-C.).
Les actes les plus significatifs pour les historiens posés par les révolutionnaires de 1789 se déclinent comme suit : la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, les paroles fortes prononcées dans la salle du Jeu de paume, à savoir : « Nous sommes là par la volonté du Peuple et nous ne sortirons de là que par la force des baïonnettes », paroles attribuées à Mirabeau et dites le 23 juin 1789 ; la suppression des privilèges dans la nuit du 4 août 1789 (privilèges des seigneurs de la noblesse et de l’Église), laquelle a eu pour conséquence la distribution des terres aux paysans.
Louis XVI, roi des Français, est destitué et guillotiné le 21 janvier 1793, suivi de la Reine Marie-Antoinette le 16 octobre de la même année. La Terreur s’installe. Les chefs de la Révolution sont guillotinés tour à tour : d’abord les Girondins ensuite les montagnards enfin les Hébertistes, dont Gracchus Babeuf.
Même les chercheurs comme Lavoisier (guillotiné le 8 mai 1794) et les journalistes comme Camille Desmoulins, passionné de l’histoire de la Rome antique (guillotiné en avril 1794), n’échappent pas à ces actes de terreur. Maximilien de Robespierre et Saint-Just, supposés responsables de l’instauration de cette Terreur, sont à leur tour guillotinés respectivement les 27 et 28 juillet 1794, précédés de Danton deux (02) mois auparavant le 5 avril de la même année.
Aussi n’est-il pas étonnant que ce soit tous les princes et rois d’Europe qui se sont dressés comme un seul Homme contre la Révolution démocratique bourgeoise de 1789, antiféodale dans son essence !
Le Royaume-Uni, entre temps, a oublié que ce sont les Anglais qui les premiers ont décapité leur roi Charles Iᵉʳ le 30 janvier 1649. Comment et pourquoi et au bout de combien d’années ont-ils jugé nécessaire d’instaurer une monarchie constitutionnelle qui dure encore ? Les historiens nous le diront.
Napoléon Bonaparte met fin à ce qu’il a pu considérer comme de l’anarchie en tant que militaire génial de la Révolution française. Il fait un coup d’État contre la Convention, se proclame Premier Consul, le 9 novembre 1799 (18 brumaire). C’est désormais le régime du Consulat qui prévaut en France avant qu’il soit sacré empereur des Français en la cathédrale Notre-Dame de Paris par le pape Pie VII, le 2 décembre 1804.
Les bouleversements sociaux et politiques entamés par la Révolution de 1789 ne marqueront le pas qu’à la bataille de Waterloo avec la défaite de l’empereur Napoléon Iᵉʳ Bonaparte, le 18 juin 1815 ; Napoléon Iᵉʳ Bonaparte qui, pour instaurer l’Empire français, a fait sauter beaucoup de têtes couronnées.
Waterloo n’arrêtera pas la marche de l’Histoire. Louis XVII, dauphin de Louis XVI, mourra des suites des tortures subies en prison sans avoir jamais régné. C’est Louis XVIII, descendant aussi des Bourbons, qui est sacré roi en 1814 avant d’être destitué par Napoléon Bonaparte revenu de l’île d’Elbe. Il est de nouveau sacré roi aussitôt après Waterloo. C’est la seconde restauration.
La monarchie de Juillet (Juillet 1830, sous le règne de Charles X) continuera à étendre l’Empire, cette fois-ci coloniale française par la conquête de l’Algérie. Cette conquête sème les germes des drames et de la tragédie algérienne dont l’Humanité n’a pas encore fini de tirer toutes les leçons.
Les citoyennes et les citoyens maliens sont en droit de s’interroger : pourquoi le ministre de l’Éducation nationale Amadou Sy Savané Mo samata gaccee, traduisez par ” CHEVALIER sans peur ni reproches”, a pu, à brûle-pourpoint, décider de suspendre l’enseignement de la Révolution démocratique bourgeoise de 1789, lui homme de culture censé connaitre parfaitement toute la signification historique de cette révolution ?
L’aurait-il fait sur ordre de ses employeurs du moment ? Si c’est le cas, je serais profondément déçu, moi qui croyais le connaitre pour sa grande probité intellectuelle et sa détermination à défendre ses idées ; pour aussi sa connaissance du sens de l’Histoire !
À mon entendement, l’enseignement de l’histoire de la Révolution démocratique bourgeoise de 1789 est dans les programmes définis par la réforme de l’Éducation de 1962 portée par le ministre Abdoulaye Singaré, laquelle avait pour mission de décoloniser l’enseignement de l’Histoire au Mali, en s’attachant justement à faire connaitre à la jeunesse malienne l’histoire des révolutions dans le monde.
Au fait, de quoi ont peur celles et ceux qui nous gouvernent aujourd’hui pour suspendre l’enseignement de la Révolution démocratique bourgeoise de 1789 des programmes des élèves des classes de neuvième année du cycle fondamental au Mali au motif qu’ils seraient trop jeunes et pourraient être influencés par l’idéologie de cette révolution ?
Les autorités actuelles auraient-elles peur que la jeunesse malienne influencée par les idées révolutionnaires de 1789 aille à l’assaut de toutes les Bastilles du Mali, « brise les barrots pour leurs frères » et libère tous les détenus pour délit d’opinion, civils et militaires ; que la jeunesse influencée par les idées révolutionnaires à cette époque de 1789 exige le retour de tous les exilés politiques, impose la suppression de tous les privilèges des féodaux et la récupération de tous les biens mal acquis de 1990 à nos jours et surtout depuis 2012 ?
Il est difficile de comprendre que ce soit de son plein gré que le ministre Amadou Sy Savané a décidé la suspension de l’enseignement de la Révolution démocratique bourgeoise de 1789 destiné aux classes de la neuvième année de l’enseignement fondamental au Mali.
Amadou Sy Savané, Mo sawa ta gaccee n’a rien à sauvegarder sauf sa liberté, son honneur, ce qu’il a gagné honnêtement à la sueur de son front et de son cerveau comme fonctionnaire international et ce qu’il gagnera tout aussi honnêtement au ministère de l’Éducation nationale sans jamais redouter aucun audit.
Il sait, j’en suis sûr, que la Révolution démocratique bourgeoise de 1789 est la mère de toutes celles qui vont suivre : 1848, la révolution chantée par le grand poète et écrivain, acteur lors des évènements, Alphonse de Lamartine ; la révolution de 1871 qui enfante l’Ephémère Commune de Paris ; les révolutions de 1905 et d’octobre 1917 de Russie ; la Révolution allemande de 1918 qui verra périr Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg assassinés par la Bourgeoisie.
Attention, il ne faut pas plonger le Mali dans une nuit qui ne verrait plus le soleil se lever. Une nuit sans étoiles, sauf celles qui scintillent, non pas au firmament, mais sur les képis, les casquettes et les bérets de couleurs diverses des généraux !
Attention, petit frère, la nuit, aussi longue que soit sa durée, finira un jour. Et le soleil poindra à l’horizon. Tout œil le verra !
Attention encore une fois petit frère Sy Savané mo sawa ta gaccee ! Le peuple malien observe et jugera sévèrement les Gouvernements du Mali, surtout celles et ceux qui, se proclamant avec fracas adeptes du Mali Kura, n’auront pas été à la hauteur idoine des missions que la Nation et l’Histoire leur auront assignées !
Bamako, le 31 Octobre 2025
Pr. Ali Nouhoum Diallo
Un Enseignant parmi d’autres qui proteste contre cette suspension et prend date devant l’Histoire.
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