Le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji a jeté de l’huile sur le feu ce vendredi 5 décembre 2025 sur PRC TV, chaîne présidentielle. Au sujet d’Anicet Ekane, opposant historique décédé en détention le 1er décembre après 38 jours au Secrétariat d’État à la Défense (SED), le Minat a déclaré sans détour : « Anicet Ekane n’est ni un héros national, ni un martyr. Le seul qui a donné sa vie pour sauver l’humanité, c’est Jésus-Christ. Après lui, il n’y a plus personne. » Ces propos, prononcés alors que l’indignation gronde au Cameroun et à l’international, provoquent une onde de choc chez l’opposition et les défenseurs des droits humains. Le président du Manidem, 74 ans, avait-il vraiment choisi « le mauvais côté politique » comme l’affirme le ministre ?
Quatre jours seulement après le décès controversé d’Anicet Ekane en détention, le ministre Paul Atanga Nji a choisi de monter au créneau pour défendre la version officielle des faits. Dans un entretien accordé à PRC TV, chaîne appartenant à la présidence de la République, le patron du Minat a multiplié les déclarations qui font déjà réagir.
Loin d’apaiser les tensions dans un contexte déjà explosif de crise postélectorale, ces propos risquent au contraire d’alimenter la colère d’une partie de la population camerounaise qui voit dans la mort d’Ekane un symbole de dérive autoritaire.
Une criminalisation posthume qui choque
D’un ton catégorique, Paul Atanga Nji a d’abord tenu à recadrer le débat sur le statut d’Anicet Ekane. Pour le ministre, le président du Manidem aurait « choisi le mauvais côté politique ». Une affirmation qui implique que l’engagement politique de l’opposant justifierait à lui seul son arrestation et sa détention.
Le Minat affirme même avoir personnellement mis en garde Anicet Ekane lors d’une rencontre à l’hôpital avant son arrestation. Un détail qui soulève d’ailleurs des questions : si le ministre savait que l’opposant était déjà hospitalisé, pourquoi autoriser ensuite sa détention dans des conditions qui ont visiblement aggravé son état de santé ?
S’agissant des motifs de l’interpellation du 24 octobre 2025, Paul Atanga Nji écarte toute motivation politique. Selon lui, Anicet Ekane aurait été arrêté pour détention présumée de « tramadol destiné à perturber l’élection ». Une accusation qui fait bondir l’opposition et les avocats du défunt, qui y voient une tentative flagrante de criminalisation posthume visant à salir la réputation d’un homme dont l’engagement politique était reconnu bien au-delà des frontières camerounaises.
Des conditions de détention « optimales » selon le ministre
Le ministre a également longuement insisté sur les conditions de détention d’Anicet Ekane au SED de Yaoundé. Selon Paul Atanga Nji, la prise en charge médicale assurée par les médecins militaires aurait été « optimale », balayant ainsi les critiques formulées par la famille, les avocats et le parti du défunt.
Cette version des faits est pourtant contredite par de nombreux témoignages. Le Manidem avait tiré la sonnette d’alarme plusieurs semaines avant le décès, dénonçant la confiscation d’appareils médicaux essentiels à la survie de son président. Dans un communiqué du 21 novembre 2025, le parti affirmait que les dispositifs de soins d’Anicet Ekane, dont un extracteur d’oxygène indispensable, étaient restés dans son véhicule placé sous séquestre dans les locaux du groupement de la gendarmerie de Douala depuis la soirée du 24 octobre.
Muna Ekane, fils aîné du défunt, a témoigné que l’état de santé de son père s’était fortement détérioré durant la dernière semaine. « Pendant une semaine, il avait du mal à respirer ; il suffoquait », a-t-il déclaré, ajoutant que la famille avait alerté à plusieurs reprises les autorités, « mais rien n’a été fait ».
Comment concilier ces témoignages accablants avec la version d’une prise en charge « optimale » défendue par le ministre ? La question reste entière et alimente les soupçons d’une tentative de dissimulation des véritables circonstances du décès.
Un parcours politique effacé d’un trait de plume
En qualifiant Anicet Ekane de simple opposant ayant « choisi le mauvais côté », Paul Atanga Nji efface d’un trait de plume près de cinquante années de militantisme politique camerounais. Né le 17 avril 1951 à Douala, Georges Anicet Ekane était une figure majeure de la gauche nationaliste et héritier des luttes indépendantistes.
Il avait rejoint l’Union nationale des étudiants kamerunais dans les années 1970, puis adhéré à l’UPC en 1973 avant de fonder le Manidem en 1995. Arrêté en février 1990 avec d’autres membres comme Yondo Black, il avait été condamné à six mois de détention par le tribunal militaire avant d’être gracié en août 1990.
Candidat aux élections présidentielles de 2004 et 2011, Anicet Ekane avait été témoin de l’exécution du combattant de l’indépendance Ernest Ouandie, une expérience qui avait profondément marqué son engagement politique. Ses partisans le considéraient comme l’héritier politique des héros nationalistes camerounais.
Deux poids, deux mesures dans le traitement judiciaire
Le traitement judiciaire d’Anicet Ekane contraste singulièrement avec celui d’autres personnalités arrêtées en même temps. Le professeur Jean Calvin Aba’a Oyono, soutien d’Issa Tchiroma Bakary interpellé au lendemain de l’élection présidentielle du 12 octobre, a été libéré vendredi 5 décembre dans la soirée après plus d’un mois de détention au SED.
En revanche, Djeukam Tchameni, arrêté un jour avant Anicet Ekane, a été inculpé et envoyé au pénitencier de Kondengui à Yaoundé. Les deux hommes étaient pourtant poursuivis pour les mêmes chefs d’accusation : « insurrection », « rébellion » et « hostilité contre la patrie ».
Selon Me Emmanuel Simh, leur avocat, le juge d’instruction militaire aurait estimé que les éléments à charge contre le professeur Oyono n’étaient pas établis. Cette différence de traitement alimente les interrogations sur les véritables motivations des poursuites engagées contre Anicet Ekane.
L’indignation internationale que le ministre ne peut effacer
Les déclarations de Paul Atanga Nji interviennent alors même que la communauté internationale exprime sa consternation. Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme s’est dit vendredi 5 décembre « consterné » par la mort en détention du chef de l’opposition et réclame une enquête rigoureuse et impartiale.
La Délégation de l’Union européenne au Cameroun et en Guinée équatoriale a également exprimé sa préoccupation. Les organisations de défense des droits humains exigent que toute la lumière soit faite sur cette affaire.
Cette mort intervient dans un contexte de grave crise postélectorale. Depuis l’élection présidentielle d’octobre 2025, marquée par la réélection contestée de Paul Biya avec 53,66% des suffrages, le Cameroun connaît des manifestations violemment réprimées. Plus de 1 200 personnes ont été interpellées selon les autorités, et le bilan humain s’élève à 20 morts officiellement (mais plus de 55 selon l’opposition et les ONG).
Pour l’opposition, les défenseurs des droits humains et les militants du Manidem, les déclarations de Paul Atanga Nji constituent une tentative désespérée de réécrire l’histoire et de justifier l’injustifiable. La mort d’un opposant de 74 ans en détention, privé de ses appareils médicaux vitaux, ne peut être effacée par des formules choc prononcées à la télévision présidentielle.
Les propos du ministre, loin d’apaiser les tensions, risquent au contraire de transformer Anicet Ekane en symbole d’une lutte dont les répercussions dépassent désormais largement les frontières du Cameroun. Héros ou pas héros, martyr ou pas martyr, un homme de 74 ans est mort en détention dans des circonstances qui méritent mieux qu’une polémique politicienne.
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