Cette exclamation, faite d’une voix ferme et comme un cri d’alerte de Kadiatou Kanté, Présidente de l’Association «Les Combattantes du Cancer » a glacé un public mobilisé lors de la Journée des 16 jours d’activisme pour mettre fin à la violence à l’encontre des femmes organisée le 27 novembre 2025 à Bamako par l’Association Femmes et Sports et la Délégation de l’Union européenne au Mali, Elle a poussé à réfléchir sur les différentes formes de violence visant les femmes (physique, psychologique, déni de ressources, harcèlement, etc.). Toutes ces formes de violences sont souvent recensées et débattues, mais rarement celles liées aux maladies, en particulier celle qui touche l’essence de la féminité : le cancer du sein.
La mastectomie est une intervention chirurgicale consistant en l’ablation totale ou partielle d’un ou des deux seins en raison de cellules cancéreuses. Elle vise à éviter tout risque de récidive pour sauver la vie de la patiente lorsque les diagnostics sont tardifs, explique le Dr Robert Sylvestre Sidibé, Gynécologue, Oncologue et Chercheur. Selon lui, cette pratique dépasse largement le cadre oncologique, car plusieurs situations peuvent pousser les médecins à recommander la mastectomie, que ce soit à titre préventif ou thérapeutique. Cela inclut la mastectomie prophylactique, les infections sévères du sein, des traumatismes graves, ainsi que chez les patientes présentant un risque génétique très élevé de cancer du sein, notamment celles porteuses des mutations BRCA1, BRCA2 ou d’autres gènes à haut risque.
Données Statistiques de la Mastectomie au Mali
Au Mali, le cancer du sein demeure un problème majeur de santé publique, figurant parmi les principales causes de morbidité et de mortalité (Ministère de la Santé/ Mali Médical 2024). En 2020, le nombre de cas enregistrés était de 2.450 nouveaux cas de cancer du sein, représentant 17,3 % des cas, avec 1 425 décès, soit 13,9 % des décès (Mali Médical 2024, Tome XXXIX N°2). Selon cette étude, le taux de létalité pour les cancers du sein et du col de l’utérus combinés est très élevé, atteignant 60 %, et l’âge moyen au diagnostic est de 47,6 ans. Les données des services de chirurgie générale des Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) de Bamako indiquent également que la mastectomie est l’intervention chirurgicale la plus fréquente, représentant 72 % à 95 % des interventions pour cancer du sein curatif.
Cependant, le Dr Sidibé souligne que le post-mastectomie a un grand impact social et psychologique sur les femmes victimes de cancer. Comme l’ont témoigné plusieurs survivantes, la mastectomie trouble profondément les femmes, créant en elles un manque de confiance en soi et en leur féminité. À cela s’ajoutent les stigmatisations faites par la société ou certains conjoints.
Discriminations et stigmatisations liées au cancer du sein
Selon Kadiatou Kanté, Présidente de l’Association « Les Combattantes du Cancer » et victime de cancer en 2015-2016, les survivantes des cancers du sein et du col de l’utérus sont souvent victimes de violence à leur égard. « On doit classer cette forme de violence parmi les violences basées sur le genre (VBG). Lorsqu’on est victime des cancers du col de l’utérus ou du sein, au-delà de la douleur et des souffrances liées à la maladie et à son traitement, on fait face au rejet de la société, singulièrement à l’abandon de certains époux. » Selon elle, au sein de leur association, de nombreuses femmes ont été abandonnées à leur sort et ont divorcé de leurs conjoints à la suite de leur cancer.
Ses propos sont soutenus par Kéïta Mariam Kéïta, également rescapée d’un cancer du sein et membre de l’association. Pour sa part, elle raconte : « face à la maladie de leur femme, beaucoup d’hommes abandonnent leurs partenaires, soit à cause des coûts élevés de la prise en charge, soit à cause des désagréments liés à la maladie durant le traitement, tels que la perte des cheveux, les douleurs et les diarrhées. Durant le traitement, la malade est dépourvue de toute envie sexuelle, ce qui ne convient pas à certains hommes qui choisissent alors d’épouser une autre femme ou de se séparer de leur partenaire. » Elle souligne qu’au cours de leurs traitements, certaines femmes font face à des cruautés de la part de leur partenaire, sans aucune empathie pour elles.
De plus, des membres de cette association témoignent avoir subi des séries de dénigrements dans leur entourage. « Le pire, c’est quand tu as une coépouse ou quand ton mari va chercher une autre femme parce que, malade, tu ne peux pas accomplir tes devoirs conjugaux. Alors bonjour le drame, les moqueries au quotidien », s’est offusquée Korotomou Mallé, une rescapée du cancer ayant subi une mastectomie. Des appellations stigmatisantes telles que « Musso Sikélé » (femme à un sein) ou « Femme incomplète » sont répétées en cascade par les membres de cette grande association de femmes engagées contre les cancers au Mali.
Au sein de cette association, nombreuses sont celles qui ont été divorcées ou abandonnées par leur partenaire à la suite de leur cancer. Pire, Kadiatou Kanté affirme qu’une de leurs membres serait morte à la suite d’une dépression. « Une des combattantes est morte à cause de la pression et des moqueries de son entourage. Elle était malmenée par ses belles-sœurs, et leurs moqueries sur les séquelles de sa maladie ont eu raison d’elle ! Vous savez, les gens n’ont pas la même force de caractère », a-t-elle tonné.
Cependant, il existe des hommes qui accompagnent leur partenaire durant cette dure épreuve. « C’est vrai que des femmes souffrent doublement avec leur cancer. Bien sûr, ce n’est pas facile pour l’entourage non plus. Durant les six années de cancer du sein de mon épouse, que j’ai malheureusement perdue, j’ai personnellement vu au moins six autres hommes qui accompagnaient leurs femmes pour le traitement au CHU de Point G abandonner leurs partenaires. J’ai même essayé de sensibiliser certains à faire face à l’épreuve, en vain », a témoigné Boubacar Sidibé, agent des Forces de Défense et veuf d’une victime de cancer du sein. Selon son témoignage, en plus des charges financières pour accompagner la malade, la détérioration de l’état physique de la malade (forte odeur corporelle, perte de cheveux, incapacité de relations sexuelles, etc.) pousse certains hommes à laisser leur partenaire à son propre sort, sans aucune considération pour le mariage ou pour la dignité humaine. « Les gens ont souvent de l’aversion pour leurs malades. Pour mon cas, des gens venant nous rendre visite ne se gênaient pas de sortir leur parfum et de s’asperger à cause de la forte odeur de ma femme », a dénoncé Boubacar Sidibé, soulignant l’insensibilité de certaines personnes face à cette maladie.
Impact et Enjeux Psychologiques de la Mastectomie
Selon Monsieur Bouba Traoré, Psychologue, la simple annonce du cancer est toujours choquante pour la personne malade, provoquant des images de mort, de souffrance et de traitements longs et pénibles. Cela entraîne également la « sidération » de la patiente, qui doit faire face à de multiples stress et à différents défis d’adaptation, pouvant la conduire vers une détresse psychologique persistante pendant des mois ou des années. En ce qui concerne la mastectomie, Bouba Traoré indique qu’elle peut avoir un impact psychologique majeur, souvent qualifié de traumatique, car elle affecte l’image de soi, l’identité et la féminité. Les femmes peuvent ressentir des émotions telles que le stress, l’anxiété, la dépression, la tristesse et la honte. « Ces émotions sont en partie liées à la perte de leur corps et à la peur de la réaction de leur entourage », a-t-il expliqué. Ajoutant que les questionnements induits par cette nouvelle situation déstabilisante peuvent avoir un retentissement psychologique immédiat ou tardif, en fonction de l’histoire, des caractéristiques socio-professionnelles et des prédispositions personnelles de chaque patiente. Il note en plus que ce bouleversement peut également avoir des répercussions sur les relations personnelles et intimes. « Les premiers impacts peuvent être sur l’image de soi et l’estime de soi, car les seins sont souvent perçus comme un symbole de féminité. Les patientes peuvent se sentir mutilées ou avoir l’impression d’avoir perdu une partie d’elles-mêmes, ce qui peut provoquer un sentiment d’étrangeté et la peur de la récidive, impactant ainsi leur vie sociale et intime », a-t- il souligné, notant l’ablation du sein affecte souvent la qualité de la vie sexuelle et affective. Selon lui, les psychologues jouent un rôle crucial pour aider ces femmes, ainsi que leurs proches, à traverser cette épreuve, à améliorer leur perception et à atténuer le sentiment de solitude
Depuis 2014, le Ministère de la Santé et du Développement Social, à travers l’Office National de la Santé de la Reproduction et ses partenaires, célèbre chaque année une campagne nationale de lutte contre le cancer du col de l’utérus et celui du sein. Cette campagne vise à mobiliser et sensibiliser le public à l’importance du dépistage précoce et d’une prise en charge adéquate. Des organisations comme Médecins Sans Frontières (MSF) travaillent avec le CHU de Bamako pour fournir des traitements gratuits, y compris la mastectomie, afin de pallier l’urgence de la situation.
Cependant, au-delà de ces actions de sensibilisation et de plaidoyer pour mettre fin à ces maladies, la gravité, le taux de morbidité et le coût de la prise en charge restent des problématiques préoccupantes. La face cachée de l’iceberg serait donc les stigmatisations après la mastectomie des patientes et leur réintégration dans la société, dans leur « peau de femme », car il manque de solutions de reconstruction mammaire, sauf les prothèses confectionnées par les femmes de l’association. Surtout que les spécialistes de la santé affirment que le cancer n’ est pas une fatalité, qu’il peut être guéri et que le dépistage précoce ainsi que la prise en charge rapide permettent de sauver des vies !
Khadydiatou SANOGO/maliweb.net
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